Hrft bouk la y ghlbouk (proverbe marocain) : Le métier de ton père ou tu perds

J'ai toujours évité et refusé de travailler avec mon père !

Je ne lui ai jamais montré mes travaux d'études et lorsque je suis rentrée au Maroc  après l'obtention de mon diplôme, j'ai cherché un travail dans toutes les villes sauf Fès, ma ville natale et celle où vivent mes parents... Après un tours par Tanger, Casa, Rabat, Marrakech, j'ai choisi Tanger, je me suis installée dans cette ville, intégré une équipe de travail, très vite mes espoirs se sont réduits en miettes, je trouvais l'architecte chez qui j'ai travaillé sans scrupules, le profil types des architectes qui font tout sauf pratiquer le métier avec noblesse.

Une usine que je quitte au bout de deux mois, pour intégrer une autre équipe dans la même ville. Au bout de quelques mois, j'ai le goût d'amertume et de dégoût, je constate que je n'ai rien appris et que j'ai régressée, l'entente avec mon boss était de plus en plus difficile. Je plie bagage et je rentre à Fès, ne sachant plus quoi faire. Après quelques séances de psy, je me voit prête à ouvrir mon agence.

Je mets mon égo dans ma poche, je me dis que finalement l'expérience de mon père est une chance à saisir, et qu'il serait complètement bête de rater tout ce qu'il sait. A partir de ce moment, je m'ouvre à lui, je considère que je ne sais rien, j'écoute tout ce qu'il me dit, je suis ses conseils même ceux dont je ne suis pas convaincue. je m'offre encore quelques années d'apprentissage. Décision que je ne regretterai jamais, cette immersion, bien que douloureuse, m'a économisé bien du temps.

Mon père de son côté, a été et est toujours un modèle de dévotion... Le temps et l'énergie qu'il a dépensé pour moi n'ont aucun prix, je réalise son sacrifice de plus en plus.

Merci baba.

J'ai donc ouvert mon agence le cœur plein d'espoirs, l'esprit plein de certitudes, avec toute la fougue, fraicheur et naïveté de ma jeunesse.

 

Une des premières phrases qu'il m'a dite : tu ne seras jamais Zohra du Fer (une architecte star). Cette phrase m'a révoltée, enragée, comment pouvait-il me décourager à ce point ? pourquoi ?

De toute façon, je ne veux pas l’être, ses trucs ne m’inspirent rien à part des voitures,

Et puis moi je veux être bien plus grande… une femme de cœur, je veux faire une architecture qui se sent qui se vit chaque jour… je veux connaitre les gens pour qui je conçois, et avoir une vue même minime sur leur vie après… non dans le sens voyeurisme mais pour coller le plus possible à leurs envies, rêves, fantasmes....

 

Un jour sur un chemin de retour, il m’a demandé :

- Qu'est ce que tu veux faire de ta vie et quelle image tu voudrais avoir de ta vie à l’instant de sa fin ?

- Qu’est ce que tu veux dire par ta question ?

- Est-ce que tu veux gagner beaucoup d’argent, tu peux, tu sais ? acheter un appartement, puis une villa, puis un immeuble, vivre une vie de faste, il faudra pour cela que tu cèdes à tes convictions, que tu acceptes d’être corrompue… Ou alors tu veux exercer ton métier dignement, tu seras respectée pour ton travail, tu pourras t’acheter un petit appartement, puis une villa, voyager de temps en temps, mais tu ne vivras pas le luxe… tu seras une architecte digne.

- Mon choix est fait, je veux être une architecte digne… c’est ce que j’ai envie de voir défiler dans ma mémoire à l’instant de mon décès… Mais je ne comprends pas que pourquoi l'argent et la dignité sont dissociés dans sa tête ? pourquoi faire de l'argent implique de se salir les mains à un instant ou à un autre ? je n'aime pas cette image qu'il me donne, je me fait la promesse de faire les deux mais je ne lui en parle pas....

 

Cette conversation de cinq minutes m’a tracé le fil conducteur de ma vie, elle résonne en moi dans tous mes choix, elle raisonne de plus en plus fort et ma carrière se dessine suivant une trajectoire claire mais pas évidente.

 

Merci Baba pour cette Objectif.

Cinq ans plus tard, je refais un bilan de mes espoirs, mes objectifs, je vois que le tout est plutôt positif mais que mon père m'a formatée d'une certaine manière, je ne lui en veux pas, je trouve la chose plutôt positive, j'entame maintenant une phase de je fais ce que je veux avec mes cheveux!

Je ne lui parle pas de mes envies capillaires non plus...